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Il passe 40 ans au service d'une famille et finit sans ressources dans un hospice

Il passe 40 ans au service d'une famille et finit sans ressources dans un hospice
Il ne connaît pas son âge mais parait plus de 70 ans. Il se rappelle seulement être venu à Kénitra tout petit avec sa mère et avoir travaillé dans une usine de conserve de thon, puis recruté par une famille très riche de la ville au service de laquelle il va trimer, pendant 40 ans, sans salaire ni perspectives d'avenir.
Il était le boy à tout faire. Conduire et ramener les enfants de l'école, faire les courses et même laver le linge. A la mort du chef de la famille d'accueil, celle-ci a décidé de vendre la maison familiale et placé Mohamed au "Jardin des personnes âgées", où il se trouve depuis neuf mois.
A part la femme et les enfants de son frère décédé, personne ne lui rend visite. Mais il est loin de se plaindre de son sort. "Nous mangeons et dormons bien et parfois même nous faisons des excursions. La dernière fois on a visité Larache, Tanger et Tétouan ", dit-il avec un sourire édenté. Quand on lui demande ce qu'il désire le plus dans la vie, il rétorque sans hésiter: se reposer. C'est que Mohamed a tellement trimé, même de nuit, sans avoir jamais goûté aux vacances. Toutefois, il ne garde pas rancune à la famille avec laquelle il a passé plus de la moitié de sa vie. J'ai élevé ses enfants depuis qu'ils étaient tout petits. Maintenant ils gagnent très bien leur vie et je souhaite qu'ils vivent bien, dit-il sans ressentiment.
Ali, son camarade de pension qui était assis à ses côtés, ne semble pas, lui, aussi cohérent quand il raconte son histoire. Il est d'un tempérament très jovial. Quand le président de l'Association musulmane de bienfaisance de Kénitra, Dr. Taoufik Lahlou, lui demande, sur un ton jovial, de "se présenter", Il se met au garde-à-vous et débite une litanie de propos en arabe et en amazigh qui font esclaffer de rires son entourage.
Ali vit depuis plus de sept ans au Jardin des personnes âgées. Il s'y plait très bien et ne veut partir nulle part ailleurs. L'hospice héberge actuellement 36 personnes, dont certaines en âge très avancée et qui ont besoin d'une assistance attentionnée.
En revanche, l'histoire de deux autres pensionnaires, Mustapha et Omar, sort des cas classiques. Ils ne paraissent par leur âge et s'expriment aisément en arabe et en français. Le premier, autrefois négociant en prêt-à-porter, s'est retrouvé au Jardin des personnes âgées après des déboires conjugaux. "Au début, nous vivions en parfaite entente. Quand nous avions eu nos deux filles, ma femme, qui est enseignante, m'avait proposé que l'un de nous doit travailler et l'autre s'occuper des enfants. Comme je n'avais pas un emploi stable et sécurisé, j'avais accepté de m'occuper du foyer", dit Mustapha sans complexe. Il amenait les filles à l'école puis au collège et au lycée, révisait les cours avec elles au foyer, faisait la cuisine, le repassage, les courses, dressait et débarrassait la table au point que les voisins le taquinaient souvent sur sa résignation. Quand les filles ont grandi, ma femme, raconte-t-il, commença à le harceler, lui reprochant de rester oisif et de ne pas chercher du travail.
A son retour d'un voyage, ajoute-t-il, elle avait, sans l'avertir, demandé le divorce et changé la serrure, le jetant à la rue avec comme seuls effets les vêtements qu'il portait. Il dit avoir 75 ans, mais grâce à son allure sportive, il parait plus jeune et de solide constitution physique. Il se trouve depuis plus d'un mois au Jardin des personnes âgées et aucune de ses filles ne lui a rendu visite ni accepté de répondre à ses appels.
Le couple avait acheté, à Kénitra, deux appartements inscrits au nom de la femme, et Mustapha souhaite profiter de l'un d'eux car, soutient-il, il a contribué directement et indirectement à leur achat.
Quand on le questionne sur ses projets pour l'avenir, il se dit désemparé et confie attendre avec beaucoup d'appréhension la prochaine audience avec sa femme au tribunal. Pour le moment, ajoute-t-il, "je vais essayer de me rendre utile ici au Jardin des personnes âgées".
Son compagnon d'infortune, Omar, la cinquantaine environ, l'allure altière, avait pas mal bourlingué en France et aux Pays-Bas et ne trouve pas de difficulté à s'exprimer en bon français. Il a expliqué que son problème avait commencé avec le divorce de ses parents et le comportement de son beau- père qui l'a poussé à s'expatrier. A la mort de ce dernier, il va revenir au Maroc, mais ne trouva pas l'affection qu'il cherchait auprès de ses frères et sœurs. Il va vivoter un certain temps de petits boulots avant de sombrer dans le désespoir et l'errance dans les rues. "J'ai mené, confie-t-il, une vie dissolue et je remercie Dieu de m'avoir guidé vers cet hospice où j'ai passé mon premier Ramadan dans la piété et le recueillement".
Omar non plus ne sait pas ce qu'il va faire après, mais ne tarit par d'éloges envers la direction de l'Association musulmane de bienfaisance qui, s'épanche-t-il, lui a permis de retrouver un peu de dignité. "J'en étais arrivé à quémander un demi-litre de lait à un jeune homme, qui vient encore aujourd'hui me rendre visite à l'hospice, dit-il.
L'Association musulmane de bienfaisance de Kénitra, dirigée par une équipe de bénévoles dynamique, a été créée en 1936. Elle gère actuellement l'orphelinat des garçons, qui compte 170 pensionnaires, la maison des fillettes avec ses 70 jeunes filles, et le Jardin des personnes âgées, qui accueille 36 personnes sans famille ou totalement démunies.
Grâce à l'INDH, l'association a pu réfectionner l'orphelinat des garçons et construire pour les personnes âgées deux grands pavillons, l'un pour hommes et l'autre pour femmes, comprenant de grandes chambres de 4 à 6 lits chacune, climatisées, avec télévision, réfrigérateur, toilette et douche à l'eau chaude.
Juste à côté, un pavillon similaire a été construit pour recevoir des jeunes filles sans famille ou dans le besoin. Elles y logent en permanence et disposent d'un bus pour les amener chaque jour faire leurs études. Les garçons et filles sont accompagnés dans leur parcours scolaire jusqu'au baccalauréat. Actuellement trois étudiants de l'orphelinat des garçons poursuivent leurs études aux Etats Unis.
Pour couvrir les dépenses des trois hospices, l'association compte sur ses fonds propres (recettes locatives) qui représentent deux tiers et des subventions de l'Etat et des assemblées locales.
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