Un ancien premier ministre britannique, Adam Lang, écrit un livre de Mémoires. Son éditeur le trouve trop rasoir pour le publier tel quel, et embauche un "nègre" afin de le rendre plus alléchant. La mort subite de ce dernier est le premier élément suspect de ce film que Roman Polanski adapte de L'Homme de l'ombre, de Robert Harris
L'avis du "Monde"
EXCELLENT
Pour les protagonistes alors visibles de cette histoire, ce malencontreux événement n'est qu'accidentel. Le coeur du scribe a lâché. On a retrouvé son corps échoué sur une plage. Rapport de police sans états d'âme : cadavre d'un homme tombé d'un ferry en pleine nuit. Stop. Le défunt était dépressif. Stop.
Un second nègre est embauché. A peine a-t-il quitté les locaux de la maison d'édition qu'il est agressé et délesté du manuscrit. Ce jeune homme n'est pas spécialement candidat aux embrouilles, mais tel un Cary Grant hitchcockien plongé dans un infernal imbroglio avec la mort aux trousses, il remonte ses manches et s'accroche. Simple locataire d'un ouvrage qu'il ne signera pas, il est sans nom. Le générique le désigne comme "The Ghost Writer" - littéralement "l'écrivain fantôme", autrement dit le nègre. Conservé pour la sortie française, le titre anglais souligne ce statut de mort-vivant.
Ecrivain anonyme, marionnette, mort en sursis ? Dans un polar, il ne faut jamais se fier aux apparences. A peine le nez plongé dans la biographie d'Adam Lang, le gars tombe sur une anomalie. La vie privée de l'homme politique recèle un détail qui pourrait passionner les people mais ne figure pas dans la version officielle qu'il en donne. Puis éclate un scandale. Adam Lang est menacé d'être poursuivi pour crime de guerre, accusé d'avoir aidé la CIA en favorisant l'enlèvement de terroristes islamistes. Calomnies ? D'abord intriguant, le job du nègre se révèle périlleux. Des papiers de son prédécesseur retrouvés dans sa chambre le mettent sur une piste. Il va enquêter, à ses risques et périls...
Voilà un thriller à la mise en scène irréprochable et qui nous embarque dans un suspense parfaitement réglé, avec photos compromettantes, piste révélée par le GPS d'une voiture de location, poursuite sur un ferry, refuge dans un motel miteux. Le meilleur film que nous ait donné Roman Polanski depuis longtemps. Plus réussi que Frantic (1988), qui se situait dans la même mythologie, The Ghost Writer vise avec succès un premier degré qui le fait échapper au décalage du film "à la manière de". En même temps, le nom de l'auteur - Roman Polanski - lui donne un piment dont nous aurait privé un simple héritier habile de la technique hitchcockienne.
D'abord parce que, même si ce type de lecture l'agace, ce film de divertissement est autoréférentiel. Ce domestique qui s'acharne à remplir une brouette de feuilles mortes en plein vent rappelle la connivence du cinéaste avec le théâtre de l'absurde. Le lieu où échoue le nègre nous ramène à son obsession du huis clos : il s'agit d'une luxueuse villa vitrée, coupée du monde, nichée sur une île, ghetto symbolique où se retrouvèrent nombre de ses personnages, réfugiés ou cernés sur un bateau, dans un appartement, dans une maison ou un château.
Que cette villa soit au bord de la mer renvoie à ce thème récurrent de l'eau, que Polanski associe à la menace, au mal, à la mort. Autant de motifs auxquels on pourrait ajouter la soumission, le mélange d'attraction et de répulsion, l'équivoque entre le bien et le mal et entre le mal - dont une femme est l'instrument sinon l'orchestratrice, héroïne fourbe du film noir - et le sexe.
Une fois de plus, Polanski affiche sa méfiance à l'égard des politiciens et de leurs administrations, son attachement pour le personnage du perdant et pour les fins immorales, son goût des atmosphères et sa dextérité à faire sourdre l'inquiétude du réel. Au-delà de ce savoir-faire, il est une chose auquel un auteur ne peut rien.
Qu'il l'ait ou non voulu, Robert Harris, qui cosigne le scénario, ne peut empêcher le spectateur de penser à Tony Blair en voyant cet Adam Lang, dont les actes politiques en accord avec la stratégie du Pentagone en Irak déclenchent une enquête de la Cour internationale de justice.
De même, il est difficile de parler d'un film de Polanski sans parler de Polanski lui-même. L'ombre de tout ce qui lui est arrivé depuis l'horreur nazie pèse sur ses films. Il a souvent nié tout rapport de cause à effet, légitimement réfuté que ces drames soient survenus à cause de ce qu'il était, volontiers admis que ces persécutions aient pu influencer son inspiration.
Dans le cas de The Ghost Writer, qui fut écrit et tourné avant que Polanski ne soit assigné à résidence dans son chalet de Gstaad, à cause d'une affaire de moeurs qui remonte à 1977, l'inconscient fait le malin. Les similitudes sont pourtant troublantes. En particulier dans cette scène où, avant de s'envoler pour un pays n'ayant pas signé d'accord d'extradition (l'ironie veut qu'inversement à sa situation actuelle, ce soit les Etats-Unis), l'homme traqué est littéralement assiégé par les médias, dans l'impossibilité de sortir de ce bunker aquarium qu'est sa demeure de villégiature. Il est des occasions où la fiction prédestine la réalité.
L'avis du "Monde"
EXCELLENT
Pour les protagonistes alors visibles de cette histoire, ce malencontreux événement n'est qu'accidentel. Le coeur du scribe a lâché. On a retrouvé son corps échoué sur une plage. Rapport de police sans états d'âme : cadavre d'un homme tombé d'un ferry en pleine nuit. Stop. Le défunt était dépressif. Stop.
Un second nègre est embauché. A peine a-t-il quitté les locaux de la maison d'édition qu'il est agressé et délesté du manuscrit. Ce jeune homme n'est pas spécialement candidat aux embrouilles, mais tel un Cary Grant hitchcockien plongé dans un infernal imbroglio avec la mort aux trousses, il remonte ses manches et s'accroche. Simple locataire d'un ouvrage qu'il ne signera pas, il est sans nom. Le générique le désigne comme "The Ghost Writer" - littéralement "l'écrivain fantôme", autrement dit le nègre. Conservé pour la sortie française, le titre anglais souligne ce statut de mort-vivant.
Ecrivain anonyme, marionnette, mort en sursis ? Dans un polar, il ne faut jamais se fier aux apparences. A peine le nez plongé dans la biographie d'Adam Lang, le gars tombe sur une anomalie. La vie privée de l'homme politique recèle un détail qui pourrait passionner les people mais ne figure pas dans la version officielle qu'il en donne. Puis éclate un scandale. Adam Lang est menacé d'être poursuivi pour crime de guerre, accusé d'avoir aidé la CIA en favorisant l'enlèvement de terroristes islamistes. Calomnies ? D'abord intriguant, le job du nègre se révèle périlleux. Des papiers de son prédécesseur retrouvés dans sa chambre le mettent sur une piste. Il va enquêter, à ses risques et périls...
Voilà un thriller à la mise en scène irréprochable et qui nous embarque dans un suspense parfaitement réglé, avec photos compromettantes, piste révélée par le GPS d'une voiture de location, poursuite sur un ferry, refuge dans un motel miteux. Le meilleur film que nous ait donné Roman Polanski depuis longtemps. Plus réussi que Frantic (1988), qui se situait dans la même mythologie, The Ghost Writer vise avec succès un premier degré qui le fait échapper au décalage du film "à la manière de". En même temps, le nom de l'auteur - Roman Polanski - lui donne un piment dont nous aurait privé un simple héritier habile de la technique hitchcockienne.
D'abord parce que, même si ce type de lecture l'agace, ce film de divertissement est autoréférentiel. Ce domestique qui s'acharne à remplir une brouette de feuilles mortes en plein vent rappelle la connivence du cinéaste avec le théâtre de l'absurde. Le lieu où échoue le nègre nous ramène à son obsession du huis clos : il s'agit d'une luxueuse villa vitrée, coupée du monde, nichée sur une île, ghetto symbolique où se retrouvèrent nombre de ses personnages, réfugiés ou cernés sur un bateau, dans un appartement, dans une maison ou un château.
Que cette villa soit au bord de la mer renvoie à ce thème récurrent de l'eau, que Polanski associe à la menace, au mal, à la mort. Autant de motifs auxquels on pourrait ajouter la soumission, le mélange d'attraction et de répulsion, l'équivoque entre le bien et le mal et entre le mal - dont une femme est l'instrument sinon l'orchestratrice, héroïne fourbe du film noir - et le sexe.
Une fois de plus, Polanski affiche sa méfiance à l'égard des politiciens et de leurs administrations, son attachement pour le personnage du perdant et pour les fins immorales, son goût des atmosphères et sa dextérité à faire sourdre l'inquiétude du réel. Au-delà de ce savoir-faire, il est une chose auquel un auteur ne peut rien.
Qu'il l'ait ou non voulu, Robert Harris, qui cosigne le scénario, ne peut empêcher le spectateur de penser à Tony Blair en voyant cet Adam Lang, dont les actes politiques en accord avec la stratégie du Pentagone en Irak déclenchent une enquête de la Cour internationale de justice.
De même, il est difficile de parler d'un film de Polanski sans parler de Polanski lui-même. L'ombre de tout ce qui lui est arrivé depuis l'horreur nazie pèse sur ses films. Il a souvent nié tout rapport de cause à effet, légitimement réfuté que ces drames soient survenus à cause de ce qu'il était, volontiers admis que ces persécutions aient pu influencer son inspiration.
Dans le cas de The Ghost Writer, qui fut écrit et tourné avant que Polanski ne soit assigné à résidence dans son chalet de Gstaad, à cause d'une affaire de moeurs qui remonte à 1977, l'inconscient fait le malin. Les similitudes sont pourtant troublantes. En particulier dans cette scène où, avant de s'envoler pour un pays n'ayant pas signé d'accord d'extradition (l'ironie veut qu'inversement à sa situation actuelle, ce soit les Etats-Unis), l'homme traqué est littéralement assiégé par les médias, dans l'impossibilité de sortir de ce bunker aquarium qu'est sa demeure de villégiature. Il est des occasions où la fiction prédestine la réalité.
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