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Sable de dragage : Un rapport scientifique accablant

lundi 4 avril
  • Plages, dunes, faune et flore… de très lourdes implications écologiques
  • La filiale de Drapor rejette en bloc les accusations

 Le juteux business du sable n’en finit pas de soulever de grosses polémiques. Après le scandale du pillage, c’est au tour du dragage de sonner cette fois-ci le glas du littoral marocain. Un rapport accablant, dont L’Economiste détient copie, vient de rendre publics les lourds impacts de l’activité de dragage sur le littoral marocain. Il révèle des « signes précurseurs d’une catastrophe environnementale qui menace le littoral marocain ».
Le rapport repose sur les conclusions et le recoupement de plusieurs études étayées d’un groupe d’experts, d’universitaires, de biologistes et de chercheurs géologues, qui révèlent pour la première fois au Maroc « les conséquences écologiques et les implications lourdes » de l’extraction de sable sur l’érosion des dunes et la fragilité de la biodiversité, particulièrement dans le Gharb (région de Kénitra) où le littoral s’étend sur 140 km. Le rapport s’arrête essentiellement sur la plateforme d’extraction de Mehdia. Un site où la zone draguée s’étend sur 6 km2 avec des profondeurs allant de 6 à 20 mètres !

 
« Effectué dans le but de la commercialisation des sables, le dragage s’exerce sur ce site depuis une décennie sans études d’impact (EIE) validée sur le proche plateau continental comme le veut la législation nationale », signale le document. Un protocole d’étude d’impact a été réalisé, mais il n’a pas connu de suites, confient les chercheurs. Selon ces derniers, « à chaque fois que l’étude d’impact est réclamée à la société Drapor, l’on nous brandit la certification qui n’a pas le rôle d’une étude auprès de tiers, ni celui de l’acceptabilité environnementale de l’exercice de l’activité de dragage (un processus lourd avec des analyses de l’état initial, des effets directs et indirects, des moyens utilisés…), validée par le ministre de l’Environnement ».

 
Contacté par L’Economiste, le management de Rimal, filiale de Drapor, précise « qu’une étude d’impact a été soumise à une commission tripartite (Equipement, Eaux et forêts et Suivi des carrières) ». Mais aucune réponse n’a encore été formulée. Ceci étant, « nous avons une autorisation et un cahier des charges très strict », signale Hassan Jaï, président du directoire de Rimal. Sur la zone étudiée dans le Gharb, l’activité de dragage s’opère, selon le rapport, « via une extraction sous marine avec des excavations ouvertes sous l’eau ». Excavations « qui relèvent du registre de l’exploitation minière et non des carrières de sable à ciel ouvert », tiennent à préciser les auteurs du rapport qui préviennent et dénoncent « une torsion des dispositions législatives et réglementaires à l’occasion du projet de loi modificative (loi n° 08-01) relative à l’exploitation des carrières de sable ». En clair, l’étude dénonce une tentative de contourner le projet de loi de son esprit en conférant à l’activité de dragage un statut de « carrière à ciel ouvert ». Le tout dans un contexte d’accélération des mesures et initiatives à l’effet d’adoption du projet de loi modifiant et complétant la loi 08-01, portant sur l’exploitation des carrières. Sur ce point précis, le management de Rimal nuance : « Drapor ne fait que prendre le sable que la mer a amené. Ce n’est pas un travail en offshore ». Plus encore, « on ne creuse pas au-delà de 7 mètres de profondeur », insiste Abdelkébir Hmimou, secrétaire général de Rimal. Quant à la volonté de contourner le texte de loi, les dirigeants de Rimal sont catégoriques : l’essentiel est que le texte de loi sorte pour plus de traçabilité. L’enjeu est de pouvoir légiférer que ce soit sous le code minier ou celui des travaux publics. Sauf que, explique un ex-cadre de l’Equipement, « le Maroc a pris le choix que les granulats relèvent du contexte général d’exploitation des carrières et pas du code minier ».

 
En France, rappelons-le, le dragage relève de l’activité minière dont les textes de loi et les protocoles des cahiers des charges sont plus rigoureux que ceux des carrières à ciel ouvert contrôlées. Par ailleurs, les chercheurs ne s’arrêtent pas au risque de manipulation du cadre réglementaire. Ils révèlent aussi la non-conformité du sable de dragage aux normes de construction ainsi que les ingrédients d’un scandale écologique. Selon des analyses récentes effectuées sur la plateforme de Kénitra, le sable dragué est en réalité « une boue ». Des prélèvements (10 échantillons par année) ont été soumis en 2011 au LPEE sous l’appellation d’un autre site. Résultat : « 13% de fine ». L’échantillon en question est caractérisé « par une propriété non-conforme selon les normes marocaines », précise le rapport du LPEE. En plus clair, « ce sable est impropre à la construction. Plus encore, il a une forte teneur en sel », expliquent les géologues. En Europe, poursuivent-ils, ce type de produit a un statut « de déchet » sans plus.

 
« L’appellation sable vert, donc sous-entendu écologique, est également contestée. Elle induit en erreur. En fait, le sable de dragage est de couleur noire et n’a aucune spécificité écologique », tiennent à préciser les chercheurs. Mais que vaut vraiment le sable du dragage. Selon le patron de Rimal, « le meilleur gage de qualité est dans nos références clientèle. Notre sable est acheté par des multinationales qui en font du granulat. S’il y avait le moindre problème, nos clients nous l’auraient remonté ». D’ailleurs, précise un professionnel, le sable de dragage est aujourd’hui utilisé dans tous les domaines : en génie civil, aussi bien pour les mortiers et le béton que pour les ouvrages d’art et les infrastructures.

 
Métaux lourds très néfastes

 
L’autre particularité du site de dragage de Kénitra réside dans son emplacement. L’embouchure du Sebou (le seul fleuve navigable au Maroc) en fait le réceptacle de diverses activités urbaines, industrielles et agricoles issues de son bassin versant. Au fil du temps, ces différentes activités ont généré des pollutions et transféré des flux de métaux lourds tant au niveau de l’embouchure que du proche plateau continental. D’où les taux importants de métaux stockés dans le compartiment sédimentaire, lesquels sont remobilisés et remis en suspension pendant le dragage.

 
Ceci étant, il a été démontré que l’activité de dragage telle qu’elle est menée dans le Gharb participe à la remobilisation des métaux lourds stockés dans les sédiments. « Le dragage remet en suspension des sédiments qui ont stocké la plupart des polluants marins à longue durée de vie ». Catégoriques, les chercheurs parlent « de métaux lourds très néfastes pour la santé des consommateurs et de l’écosystème aquatique (faune et flore) ». Et d’ajouter, « ces métaux sont fortement présents dans les sédiments dragués à des taux qui dépassent de loin les normes d’innocuité tolérées ». Il s’agit notamment du plomb, cuivre, zinc, chrome… Des métaux lourds qui ne doivent en aucun cas faire l’objet ni d’extraction, encore moins de commercialisation, signale le groupe de chercheurs.

 
Il en veut pour preuve l’évaluation des teneurs des métaux lourds dans les sédiments et les matières en suspension qui montre que le chrome est l’élément le plus abondant avec un maximum de 794,5 ppm. Et c’est le dragage, révèle le rapport, qui a conduit ces dernières années à « la redistribution et réveil de ces substances accumulées pendant des siècles. L’activité a remis en suspension des métaux lourds nuisibles à la santé de la vie aquatique et de celle des consommateurs de poissons et crustacés en particulier ». « Nous ne sommes pas concernés par cet aspect pour la simple raison que nous opérons au niveau du cône de déjection de l’embouchure. Notre mission principale est d’entretenir le chenal d’accès au port ». Rimal rejette en bloc les accusations des scientifiques. Mais il n’en demeure pas moins que des études menées sur les moules (variété de la région jadis de très bonne qualité, connue sous l’appellation scientifique de Mytilus edulis) ont démontré que cette espèce absorbe des concentrations importantes de cuivre, fer, chrome, plomb, cadmium… qui dépassent les limites tolérées et fixées par la réglementation européenne régissant la consommation de mollusques (CE 266/2001). En principe en Europe, une fois les seuils fixés dépassés, les mollusques deviennent inconsommables !

 
www.leconomiste.com

 
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