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INTERVIEW AVEC LE DR MUSTAPHA MCHICHE ALAMI* : «Appliquer des condamnations pour corruption, c’est le rêve de toute démocratie»



La Gazette du Maroc : Y-a-t-il une définition claire de la corruption en matière de marchés publics ?
Mustapha Mchiche Alami : Il faut distinguer plusieurs niveaux en ce qui concerne les délits liés aux marchés publics. Une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public qui tente de procurer à autrui un avantage injustifié qui casse l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de
services publics, c’est du favoritisme. Ce même responsable investi d’un mandat électif public qui reçoit d’un particulier des offres, des dons ou des avantages quelconques pour accomplir ou s’abstenir d’accomplir un acte découlant de sa fonction ou de son mandat, c’est de la corruption. C’est ce qui explique en partie que les marchés publics débouchent souvent sur des routes défoncées, des écoles qui tombent en ruine dès leur démarrage et des lotissements qui ne font pas long feu.

L’année dernière, Bouzoubâa avait présenté à la Chambre des représentants, le projet de loi 54?06 instituant une déclaration obligatoire de patrimoine de certaines catégories de fonctionnaires ou agents publics qui avait provoqué la colère des parlementaires. Pourtant n’est-ce pas là un texte qui vise à combattre la corruption ?
-Nous avons été les premiers à applaudir cette initiative même si on avait considéré à l’époque que le texte était incomplet. Plus encore, dans une question orale à la Commission de la justice, de la législation et des droits de l’Homme en février 2007, j’étais même allé plus loin demandant à ce que la déclaration du patrimoine soit élargie à d’autres catégories d’hommes publics qui ont une autorité quelconque. Comme je n’ai pas omis de rappeler que le texte en question qui a pour objet de déterminer les personnes assujetties à une déclaration de patrimoine, tels les présidents des conseils régionaux et communaux ainsi que leurs membres fondés de pouvoirs et délégataires de signature, les présidents des conseils préfectoraux et provinciaux et les fonctionnaires ayant le pouvoir de nomination, est en deçà du texte voté en 1992.

Au cours de votre législature, avez-vous eu à dénoncer des cas concrets de malversations, corruptions ou autres trafics d’influence ?
En 2006, notre groupe a plusieurs fois demandé des éclaircissements au ministre de l’Intérieur concernant le pillage du sable des communes de Mehdia, Moulay Bousselham et Lmanssra, pour ne citer que celles-ci. Nous avons à l’époque enquêté par nos propres moyens sur l’ampleur du phénomène. Les résultats étaient consternants. Près de 600 camions traversent Kénitra chaque jour, remplis de sable pour aller on ne sait où. Nous avons calculé le manque à gagner pour les communes citées qui s’élève de 50 à 60 milliards de centimes par an. Tout le monde sait que le pillage systématique de nos plages ne peut se faire sans des complicités à plusieurs niveaux. Des complicités qui s’achètent au prix fort. Voilà un dossier où la corruption fait le plus de mal. Les communes perdent non seulement des ressources financières mais de plus, c’est tout un écosystème qui est menacé. Dans sa réponse à notre requête, le ministre de l’intérieur s’est contenté de rappeler que des mesures ont été prises pour combattre le pillage du sable sans préciser lesquelles.

Quelles mesures préconisez-vous pour combattre la corruption ou du moins en limiter les effets ?
Ecoutez, on peut commencer par des mesures très simples. Il faut savoir qu’à la base du système de corruption, il y a une opacité voulue. Je vous donne un autre exemple concret : À plusieurs reprises, j’ai été appelé à intervenir en tant que député de la région Gharb Chrarda pour dénoncer, soit une mauvaise gestion communale, soit une passation de marchés douteuse voire même des cas de corruption avérés.

Que fait alors le ministère de tutelle ?
Il envoie une commission, laquelle commission établit un rapport, lequel rapport donne lieu à une interpellation de l’élu qui, au pire risque un blâme écrit. Le problème dans tout cela, c’est que les résultats du rapport restent confidentiels alors que la loi sur les collectivités locales stipule que ces conclusions soient publiées sur le journal des collectivités locales. Ne pas publier ces irrégularités équivaut à les encourager. Il y a donc à la base un simple problème de circulation de l’information.

Pourquoi peine-t-on à mettre en place des mesures anticorruption qui soient efficaces ?
Tout d’abord il faut qu’il y ait une réelle volonté politique de lutter contre le phénomène. De plus, par expérience , on sait qu’il ne suffit pas de se doter de textes de loi novateurs pour mettre un terme à la corruption, ni même la freiner. On est aujourd‘hui conscient qu’il faut absolument engager d’autres actions coordonnées si l’on veut vraiment combattre ces pratiques. Il faut surtout adopter des systèmes efficaces de suivi et de vérification des comptes avec des structures et des hommes qui ont la volonté et les moyens de poursuivre les contrevenants, indépendamment de leur pouvoir sur l’échiquier politique ou financier.

Quel est le rôle de la justice dans cette lutte ?
La justice a un rôle central. Un appareil judiciaire qui ne soit pas corruptible et qui puisse prononcer des condamnations et les faire appliquer, c’est le rêve de toute démocratie. De même, il est important de former des juristes spécialisés dans la passation des marchés publics qui puissent comprendre les dessous de l’adjudication des marchés. Tout cela bien entendu ne peut se faire que si on donne à ces hommes choisis pour leur intégrité les moyens d’être à l’abri des pressions politiques. Il faut également rémunérer raisonnablement les fonctionnaires pour limiter le risque qu’ils cèdent à la tentation de fermer les yeux sur les pratiques de corruption. D’une manière générale la refonte complète de la fonction publique et du système de conduite des affaires publiques est à revoir.
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